Bibliothérapie #2 : Mémoires de la forêt – Tome 1 : Les souvenirs de Ferdinand Taupe – Comment parler de la maladie d’Alzheimer en famille ?

Publié en mars 2022 à l’Ecole des Loisirs, Mémoire de la forêt – Tome 1 : Les Souvenirs de Ferdinand Taupe est un roman jeunesse qui parle de la maladie d’Alzheimer de manière très juste, mais aussi avec beaucoup de poésie et de délicatesse. Ce livre raconte l’histoire d’un petit animal qui souffre de pertes de mémoire. Avec l’aide d’un ami, il va tenter de raccommoder ses souvenirs et l’histoire de sa vie. J’ai envie de vous en parler car ce livre est un excellent support pour essayer de comprendre ce que vit une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et donc pour ajuster nos réactions face à un proche malade. En outre, il peut aider les familles à aborder la question de la maladie en facilitant les échanges entre les générations.

Dans la forêt de Bellécorce, au creux du chêne où Archibald Renard tient sa librairie, chaque animal qui le souhaite peut déposer le livre qu’il a écrit et espérer qu’il soit un jour acheté. Depuis que ses souvenirs le fuient, Ferdinand Taupe cherche désespérément à retrouver l’ouvrage qu’il a écrit pour compiler ses mémoires, afin de se rappeler les choses qu’il a faites et les gens qu’il a aimés. Il en existe un seul exemplaire, déposé à la librairie il y a des années. Mais justement, un mystérieux client vient de partir avec. À l’aide de vieilles photographies, Archibald et Ferdinand se lancent sur ses traces en forêt dans un périple à la frontière du rêve, des souvenirs et de la réalité.

Voici un extrait :

La maison de Ferdinand Taupe était une bicoque adorable mais mal entretenue, plantée à l’orée des bois comme un champignon dans le paysage. Dieu merci, en plus de toute la pagaille qu’il transportait dans sa coquille de noix – et même les plus grands experts de la pagaille s’accordaient à dire qu’ils étaient dépassés -, Ferdinand gardait un petit carnet où il notait ses rendez-vous et toutes les informations importantes : le nom de son fabricant de lunettes, ses listes de courses, le nombre de doigt qu’il avait à chaque patte – au cas où cela changerait sans qu’il s’en rendît compte – et, à la dernière page, son adresse complète : “Ferdinand Taupe, Orée des Bois, à l’est de Bellécorce”. Ne s’étant jamais rendu chez son ami, Archibald avait été ravi de mettre la patte sur ce carnet de cuir, mais un peu moins lorsqu’il s’était rendu compte qu’une prune au sirop, collée au dos de celui-ci, était maintenant prise dans la fourrure de ses doigts … Après une journée de marche et une nuit à la belle étoile, ils avaient trouvé la maison qui n’était qu’à une heure de marche de Bellécorce. […] En passant devant les plants desséchés et la clotûre à la peinture craquelée, le renard commença à s’inquiéter – Marcellin Hibou, dans “A la mémoire de ceux qui n’en ont plus – La maladie de l’Oublie-tout”, précisait qu’on ne se rendait pas toujours compte de l’ampleur de la maladie quand on croisait peu souvent l’animal, le temps de partager une tasse de chocolat-guimauve ou son amour d’un livre … A y regarder de plus près, on découvrait que l’Oublie-tout s’était installé à la maison sans y être invité, et qu’il en avait chassé la propreté, l’ordre et la raison, au profit du désordre et de l’irraisonné … Sa grande patte griffue tenant celle, toute petite, de son ami, Archibald franchit le seuil de la maison, les yeux humide et le coeur lourd. Je crois bien que je suis parti en oubliant de ranger, marmonna Ferdinand en rougissant.

Extrait de Mémoires de la forêt – Les souvenirs de Ferdinand Taupe par Mickaël Brun-Arnaud

Après des études de psychologie, l’auteur, Mickaël Brun-Arnaud a travaillé pendant dix ans dans des services hospitaliers accueillant des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies neurodégénératives. À travers ce roman, il nous transmet son expérience avec intelligence et finesse. Il nous guide l’air de rien vers un modèle d’acceptation de la maladie et l’invention d’une nouvelle façon d’être ensemble.

Lorsqu’un membre de la famille est atteint de la maladie d’Alzheimer, il peut sembler difficile de maintenir avec lui une communication agréable. Une personne porte la maladie mais en souffre finalement avec toute sa famille. La maladie, en altérant la mémoire, la pensée, les comportements et les capacités de communication va générer autour d’elle de l’anxiété, de la confusion et même parfois de la frustration et de la colère. La famille va avoir besoin de passer par une phase d’acceptation pour trouver ensuite de nouveaux moyens plus gratifiants de communiquer et de partager son affection.

Le lecteur cible de ce roman jeunesse (qui fait presque 300 pages !) est un jeune lecteur entre 8 et 15 ans. Toutefois, les adultes auront très certainement envie de leur emprunter et ils auront bien raison ! Je leur conseillerai même vivement de ne pas s’en priver car cela pourra permettre ensuite des échanges enrichissants entre les différentes générations concernées. À titre exemple, j’ai lu la première partie du livre à ma fille de 5 ans. Cette lecture m’a (enfin !) permis de lui expliquer en quoi consiste mon travail de psychologue auprès de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et de répondre à ses nombreuses questions sur mon métier.

Si le texte en entier est bien trop difficile pour des enfants si petits, la lecture accompagnée du début de l’aventure de Ferdinand Taupe et Archibald Renard pourra constituer un bon support pour expliquer à un petit enfant les réactions d’un papi ou d’une mamie souffrant de “l’Oublie-Tout“.

Il faut préciser que ce livre est aussi un très bel objet, à la mise en page soignée. Les illustrations de Sanoë sont absolument irrésistibles. Difficile de ne pas avoir un coup de foudre pour ce beau roman !